SUITE
DE LA CONSPIRATION,
ET AUTRES FAITS INTÉRESSANS.
^ N allure que quelques riches particuliers avoient promis
trois, millions pour 1 execution du projet dont nous avons»
parle , & dont le grand nombre de perfonnes qui afliirent
avoir été follicitées pour y entrer , ne permet prefque plus
de douter. On dit qu’il y avoit des perfonnes de tou? lés
états , afin de fe procurer des inftru&ions de tous lés
genres.
L appartement qu on a vifite dans la rue des Mauvais-
Garçons , quoique loué par les perfonnes détenues, n’a
jamais ete occupe par elles. Le profond filence que l’on
garde fur cet objet , fait prefiimer qu’on a fait quelques
découvertes importantes : peut-être étoit-ce le lieu du
ralliement , peut-etre etoit-ce le dépôt des uniformes , 8c
des objets néceifaires à l’exécution du complot.
Le fieur Liveron , a&uellement à l’abbaye , a deux
freres , l’un , ex-confeiller au parlement de Paris , qui eft
parti avec l’abbé de Bifly , pour demeurer dans fa pro-
vince , qui eft voifine de la Savoie , pendant tout le temps
que fon frere reliera a Turin ^ l’autre eft lieutenant-parti-
culier nu bailliage de Belley. Il eft arrivé depuis un mois
a Paris , où il fe difoit député de la province du Bugey ,
a la finte de 1 aftemblee nationale , pour rendre compte
a fa province de ce qui s'y feroit. Il eft fixé depuis cè
temps à Verfailles : il étoit à Paris depuis deux jours à
1 epoque de la détentibn de fon frere } il a difparu le len-
demain.
On a arrêté un homme connu , qui avoit , dit-on ’
plulieurs bourfes remplies de diiférentes fortes de mon-,
A
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noies blanches qu’il diftribuoit aux marqueurs de maifons :
H a été conduit à la ville ; & quoique la ville où onl'avoit
conduit l’eût relâché , il eft gardé à vue par un diftriit.
Sur la dénonciation des trois prifonmers détenus dans
Tabbaye , accufés d’avoir trempé dans la confpiration ,
& fiir l’indication de quelques témoins , plufieurs per-
sonnes ayant été ou arrêtées , ou conduites dans le dil-
îriâ pour être ouïes , des gens mal intentionnés ou mal
inftruits ont compofé une lifte , dans laquelle ils ont
ofé inférer des noms étrangers , même des perfonnes
«difdnguées, & ils n’ont pas rougi d’en diftribuer des
copies comme extraites des regiftres du grand Châtelet ,
on doit fans doute s’indigner de pareilles horreurs.
Pour nous . nous nous abftiendrons encore de nommer
perfomie , jufqu'à ce qu’il réfulte de la procédure une
conviaion complette contr’eux ^ il feroit poffible que ,
dans le nombre des détenus, quelques-uns prouvaient
leur innocence. .
Une lettre adreftee à un particulier de cette ville
annonce une affemblée générale des cantons fuilles de
des grifons -, elle eft indiquée pour les huit premiers jours
de ce mois. On ignore les motifs de cette affemblee ex-
traordinaire. _ i f
On met la plus grande aâivité à la recherche des preu-
ves de la confpiration , & tous les jours on fait de nouvelles
découvertes. Le il du courant , à quatre heures & demie
du foir , les commiifaires du diftnd: de 1 abbaye bamt-
Germain, charges de faire les informations , , apres avoir
pris le confenîement de la demoifelle Renaud de biby St
du fieur abbé Douglas , que les fcellés mis fur les portes
de leur appartement fuffent levés l’inventaire fait leiile-
ment en préfence du fieur Rubac de Liveron , leur com-
plice Te font tranfportés avec ledit fieur de Liveron ,
efeorté de la garde nationale 9 dans la maifon ou les accules
ont été arrêtés \ & -après avoir levé les fcellés qui le iont
trouvés intaâs , on a commencé à procéder à l’inventaire
des papiers. Cette première féance a duré cinq heures St
demie» On ne rend pas public ce qui a été trouve , parce
cpfïl :e ft du plus grand intérêt que le fecret loit garde :
( 3 )
mais on peut dire qu’il a été emporté plusieurs Halles de
papiers très-lmportans , qui feront joints a la procedure.
Le fcellé a été remis fur les portes à dix heures du loir,
& le fieur de Liveron a été reconduit dans les priions
de l’abbaye. On affiire que lorfque cet acculé descen-
dit du fiacre qui le portoit , St qu’il entra dans la maiion,
il demanda à la portière fi Ion frere étoit de retour de
Verfaillès, & s’il s’étoit préfenté à la porter 6t lur la
réponfe de la portière qu’il n’avoit pas paru , il en
témoigna publiquement là latisfaéHon. Le 1 3 au matin ,
les mêmes commiifaires , accompagnés , pour la première
fois de ceux députés par la ville, fe font rendus dans
l’appartement que les prifonniers avoient loué dans une
maifon fife rue & ils en ont fait enlevei les meu-
bles , qu’ils ont fait tranfpotter dans la maiion de la
rue Mazarine. On a remarqué que parmi ces meubles ,
il ne fe trouvoit point de lit 3 ce qui ne laiife point de
doute que l'appartement de la rue.... ne ferment que e
rendez-vous pour faire les enrôlemens. Parmi les meubles
qui ont été enlevés , on a vu deux gros paquets ? qui ont
été portés à l’hôtel» de-ville. „ .
Le bruit qui avoit couru de la détention de M. Maiion y
maître du jeu de paume de la rue Mazarirfe 9 eit de toute
faulfeté. Il n’eft pas forti de chez lui , & va s emprefler 5
en fe montrant dans les endroits publics , de démentir
cette calomnie. Nous nous ferons toujours un devoir de
venger l’innocence inculpée par les foupçons meme les:
plus légers. Ce citoyen eftimable n’a donné lieu a aucun*
Ne feroit-il pas de la prudence de rhôtel-de-viUe de
rendre public tous les jours ? autant que la lageile le
permettroit , le nom des perfonues arrêtées ? Cette précau-
tion préviendroit les imputations vagues & les ioupçons
odieux , toujours défagréables pour les honnêtes cito-
yens , que répand la malignité , & que Fiiilouciance ne
manque pas d’accueillir. r i
Mardi 5 , on a arreté , dans- une maiion .de te
rue Mazarine , deux Enrôleurs de la caba.e & mie
Enrôleufe : on les a furpris au moment où ils yenoient
de recevoir deux lettres de deux enrôlés , qui leur de»
païuîoieflt le jour & le mot du ralliement ^ on a trouvé
chez eux des liftes qui pourront être fimeftes à des en-
jôlés j des plans d’attaque dont ils étoient dépofitaires ,
& d’autres pièces non moins curieufès , telles qu’une lifte
de profcrits , où fe trouvent les noms des meilleurs Ci-
toyens connus. Ces Citoyens dévoient être les premiers
fàcrftés à la vengeance du defpotifme j nos Milices dé-
voient être égorgées , & nos Repréfentans dévoient être
féparés pour toujours.
On continue à arrêter ceux qu’on croit coupables de
cet abominable complot } ceux dont nous fommes af-
furés , font M. Vidaud de la Tour, dont nous avons
déjà parlé , M. de Vivron , M. le Marquis de Nelle , M. le
Comte de Treflan, M. l’Abbé Douglas, deux Confeillers au
Parlement , Madame de Bifly , M. & Madame de Rohan-
Chabot 9 M. de Comte de Tilly , M. de Livron , Con-
feiller , & fon beau-frere.
On répand aufti que plus de huit mille hommes de
la Garde parilienne étoient de la confpiration , Sc qu’ils
avoient une marque diftin&ive qui devoit fervir à les
reconnoître ^ on dit qu’une quantité de maifons avoient
été marquées pour être incendiées j que ces bruits foient
vrais ou faux, il eft toujours certain qu’on prend toutes
les précautions pour en arrêter l’exécution : les rues con-
tinuent à être illuminées toutes les nuits , & les pa-
trouilles nombreufes & multipliées veillent à notre fû-
reté avec un zèle infatigable.
Le 15 de ce mois, le préftdent du diftriâ de Saint-
Opportune , a fait part à l’afTemblée générale qu’il avoit
reçu une lettre de Cambrai , lignée des foldats de la lé-
gions de Cambrai , qni annonçoient qu’on avoit dégarni
la ville de troupes j qu’elle n’eft gardée que par 400 hom-
mes de troupes réglées , dont cent font employés à la
garde d’un pofte voifin de la ville ; & qu’on a voulu leur
enlever les canons , les mortiers & les boulets , fous pré-
texte de les refondre , mais que les habitans s’y font forte-
ment oppofés. Ils prient le préftdent du diftriéf d’en inf-
truire la municipalité de Paris , afin d’y avifer. Cette let-
tre a été portée à M. le maire & à M. de la Fayette , qui
Vont envoyée au miniftre de la guerre , dont on attend
la réponfe. Ils ajoutoient , au nom des habitans , qu ils
étoient déterminés à fe biffer hâcher , plutôt que de laiüer
les ennemis pénétrer de ce côté. Ce qui doit nous railu-
rer c’eft que notre brave général eft inftruit de tous ces
détails & qu’il les a entendus avec fa férénité ordinaire.
Il y a quelques jours qu’on vit arriver à Livri , pendant
la nuit j une gondole remplie de perfonnes , ayant rum-
forme de la garde- nationale-parifienne j les fix chevaux
qui la traînoient , avoient les jambes bottées pour ne pas
faire de bruit \ ils venoient chercher un abbé qui etoit
parti depuis trois jours. A
On a arrêté avant hier , dans la rue S awt- Antoine ,
un jeune clerc du notaire de feue la Baltille , qui portoit
la cocarde noire. Il a été conduit a 1 hôtel- de-ville.
Nous voudrions bien favoir à quel ufage on deitine la
quantité incroyable de boutons qu’on fabrique , rue Qum-
campoix , près l’hôtel de Beaufort «. ils portent pour type
un lion furmonté de l’aigle impérial.
On a mis le fcellé chez M. le chevalier de Guer , gentil-
homme breton , fuffifamment connu.
Tous les jours on parle de nouveaux complots , de
nouvelles perfidies , de nouvelles trahilons. On écrit de
Londres , que deux Négocians Efpagnols , arrivés dans
cette ville gardant un certain incognito , follicitent ,
auprès des Miniftres , l’alliance de la Grande-Bretagne
avec la Cour d’Efpagne , dans le deffein de faire ren-
trer le Monarque François dans tous fes droits ecla-
tans , & ceux de la Nation dans le néant. On ajoute,
comme une chofe certaine , que la propofition a ete ap-
puyée par le Miniftere François lui-même, qui ne de-
mandoit que vingt mille Anglois , mais qu elle n 3 pas
été goûtée par cette généreufe Nation®
Le Roi a confié à Mgr. le duc d’Orléans une eom*
million infiniment intéreffante pour l’état 7 & S. A. S.
n’a pas héfité de s’en charger , vu l’extrême utilité dont
l’objet de fa million peut être pour le bien public.
( 6 )
Monfefgneur le duc d’Orléans a eu un paffeport de
l’Aftemblée nationale , & un autre paffeport de MM. les
Repréfentans de la commune de Paris. S. A. S. eft par-
tie le 14 oéfobre , dans la matinée , & reviendra le plu-
tôt qu’il lui fera poiïible.
On fe perd dans le labyrinthe des conje&ures fur le
départ de M. le duc d’Orléans 7 ce qu’il y a de vrai ,
c’eft qu’il a eu des entretiens particuliers avec le Roi j
que la nuit du mardi au mercredi il ne devoit pas par-
tir , & qu’il a changé plufieurs fois de deffein. M. de
Mirabeau devoit 9 dit-on , dénoncer fon départ. La de-
mande du paffeport & la lettre de M. de Montmorin
ont empêché la dénonciation. On a répandu qu’il avoit
été choifi 3 à caufe de fes liaifons avec le prince de Gal-
les j pour arrêter les deffeins du miniftere anglois , qui ,
dit-on ? fait prodiguer l’argent dans Paris pour exciter
des féditions. D’autres difent qu’il eft parti pour un achat
de grains ? ce qui n’eft guere vraifemblable. Tout eft
parfaitement fecret dans cette affaire , & l’on doit s’abf-
tenir d’en former aucun jugement , avant que d’autres
faits rapprochés puiffent nous apprendre ce que nous
devons croire.
Difcours des Députés des Juifs des Provinces dfAlface &
de Lorraine , prononcé a la Barre de t AJfemblée Na-
tionale ? par un des Députés de la Lorraine .
Messeigneurs,
» C’eft au nom de l’E terne! , Auteur de toute juftice,
& de toute vérité ? c’eft au nom de ce Dieu qui , en
donnant à chacun les mêmes droits 5 a prefcrit à tous
les mêmes devoirs 7 c’eft au nom de l’humanité outra-
gée depuis tant de fîecles , par les traitemens ignomi-
nieux qu’ont fubis , dans prefque toutes les contrées
de la terre , les malheureux deîcendans du plus ancien
de tous les peuples 7 que nous venons aujourd’hui vous
conjurer de vouloir bien prendre en cotifidérat'ion leur
deftinée déplorable.
Par-tout perfécutés , par-tout avilis , & cependant
toujours fournis , jamais rebelles \ objets , chez tous les
peuples , d’indignation & de mépris , quand il n auroit
dû l’être que de tolérance & de pitié, les Juifs que
^ nous repréfentons à vos pieds, fe font permis deipe-
rer qu’au milieu des travaux importans auxquels vous
vous livrez , vous ne rejetterez par leurs vœux , vous
ne dédaignerez pas leurs plaintes , vous écouterez avec
quelque intérêt les timides réclamations qu ils oient
former au fein de l’humiliation profonde dans laquelle
ils font enfévelis.
Nous n’abuferons pas de vos inftans , Melieigneurs ,
pour vous entretenir de la nature & de la juftice de nos
demandes ; elles font confignées dans les mémoires que
nous avons eu l’honneur de mettre fous vos yeux.
Puifïïons-nous vous devoir une exiftence moins doulou-
reufe que celle à laquelle nous fournies condamnés ! Puilfe
le voile d’opprobre qui nous couvre depuis fi long-temps ,
fe déchirer enfin fur nos têtes ! que les hommes nous
regardent comme leurs freres , que cette charité divine
qui vous eft fi particuliérement recommandée s'étende en-
fin fur nous. Qu’une réforme abfolue s’opère dans les inf-
îitutions ignominieufes auxquelles nous fommes affervis ;
& que cette réforme , jufqu’ici trop inutilement fouhaL
tée & que nous follicitons , les larmes aux yeux , foit
votre bienfait & votre ouvrage.
Réponfe de M. 1e T? ré fi dent aux Députés des Juifs .
Les grands motifs que vous faites valoir à l’appui de
vos demandes , ne permettent pas a 1 Affemblee^ de les
entendre fans intérêt -, elle prendra votre requête en
confédération , & fe trouvera heureufe de rappeller vos
freres à la tranquillité , au bonheur *, & provifoirement
Vous pouvez en informer vos Commettans.